Entrevues

Philippe Lord © photo DH-Marc Parenteau

 

MDReport - Tu t’es lancé corps et âme dans la peau d’un personnage qu’on peut qualifier pour le moins de dépravé. Toi qui sembles tout le contraire, dans la vie, et dans ton écriture en général, comment expliques-tu ce choix, si c’en est un conscient, de te projeter en ce genre d’individu si peu recommandable?

 

Philippe Lord - Ha ha! Tout d’abord, je tiens à préciser en commençant que je n’ai jamais touché au GHB - je ne saurais même pas comment m’en procurer. Mais j’ai toujours été intrigué par les drogues diminutives, qui privent celui qui en prend de ses fonctions d’intelligence et qui lui enlèvent sa censure. À ce point de vue, j’ai peut-être donné libre cours à un instinct dépravé - je pense que nous en avons tous.

 

MD -Tu le penses vraiment? Je veux dire: tu ne crois en aucune forme d’angélisme?

 

P. L. - Oh non surtout pas! Je pense que nous avons trois vies, une vie montrée, une vie privée, et une vie secrète, et dans cette dernière je suis convaincu que des relents de mauvaise conscience cohabitent avec ce que nous fantasmons. Mais pour ce qui est des gens sains, normaux, et angéliques, pour reprendre ce terme qui m’agace, ce sont peut-être des projections qui n’ont rien de répréhensible pour la majorité des gens.

Il peut y avoir au fond de quelqu’un qui accomplit un grand bien pour l’humanité une identification à un comportement moins noble, je n’ai pas d’exemple précis, genre commettre un larcin, que personne ne serait porté à juger, mais qu’au-fond, lui ou elle n’oserait jamais avoir, pour cause d’éducation au autres.

 

MD - Mais dans le cas du narrateur de GHB, on est assez loin du comportement "légèrement» répréhensible".

 

P. L. - Ça j’avoue. Disons qu’à la relecture je l’ai trouvé plus odieux qu’au moment de l’écriture en direct, et c’est pour moi un indice que je ne me rendais pas compte tout à fait, en vivant les états d’âme de mon personnage, à quel point il était centré sur un instinct d’auto-destruction.

 

MD - Y a-t-il  un élément déclencheur qui t’a conduit à imaginer cette situation?

 

P. L. - En fait, je vais te surprendre, ce récit est complètement autobiographique! Mais à l’inverse. Je suis celui qui est resté amoureux de l’homme en question après. Je ne sais pas si un mec peut porter le nom de vamp, qui définit une actrice, mais lorsque je lui avais ouvert la porte en pleine nuit et que j’ai vu ce vampire sexuel dégoulinant rentrer je me suis réellement senti comme devenir son jouet. J’ai commis l’erreur d’intégrer des sentiments à mon impulsion, ce que l’humain en moi n’a pas été capable d’éviter. La problématique du GHB se pose en terme de dédoublement de conscience. J’en subissais l’effet, mais non l’anesthésie. Sans quoi j’aurais vécu, tout comme lui, un moment éphémère. Puissant, mais éphémère.

 

MD - Irais-tu jusqu’à dire que tu en es tombé amoureux?

 

P. L. - Trop subitement pour que, six jours après, j’utilise encore ce mot, mais trop intensément pour que, six jours après, je ne sois toujours pas capable de l’oublier. Après son départ vers 4h du matin, je n’ai pas réussi à dormir. Il s’était remis sur le Gay411. Je lui ai fait signe, horreur: il m’a simplement dit qu’il m’avait trouvé charmant, puis il s’est défilé de tous mes autres messages. J’ai compris qu’il m’avait mis dans sa liste de refusés, et que je n’avais, conséquemment, été qu’un accessoire pour son plaisir.

 

MD - Donc pour toi, ce fut une rencontre aussi souffrante que pour lui ce fut intense?

 

P. L. - Ce fut intense pour les deux, mais la souffrance, sans la banaliser car je l’ai très durement ressentie, est la souffrance ordinaire des gays. Je fais partie de ceux qui sont incapables de dissocier l’amour et le sexe. Je devrais en parler au passé car j’ai eu la preuve ce soir-là que je devais accepter cette dichotomie pour m’en sortir. Ceux qui m’attirent, paradoxalement, ce sont ceux qui mettent un cloison étanche entre le corps et les sentiments. C’est peut-être un signal que je dois assumer la réalité.

 

Propos recueillis par MDReport.