Entrevues

 

 

Topic 7190813

 

DH// 813 Re://T7190 [Cent/Zwint - Aquaphone] post. 22-02-11 14:12:25

© photo - Philippe Lord © Dh-Forum / Marais Deep

PASSION AQUAPHONE

 

Confortablement installés dans son loft du plateau Mon-Royal, Philippe et moi regardons le ciel de janvier passer du bleu au violacé. Puis graduellement, de fil en aiguille, il en vient à cette passion qui l'anime depuis qu'il a découvert - accidentellement, précise-t-il - une façon de faire résonner des jets d'eau sur cet étrange instrument qu'il a baptisé, faute de mieux, l'aquaphone.

 

ZOLTAN WEIDER - On a souvent vu dans l'histoire des découvertes se faire en raison de circonstances accidentelles.

 

PHILIPPE LORD - C'est un peu l'histoire de l'homme qui chantait sous la douche. En essayant de régler les jets, je me suis aperçu que le son produit changeait selon les mouvements de ma main sous le pommeau.

 

Z. W. - Et comment as-tu mis au point cet instrument?

 

P. L. - En fait, l'aquaphone existe déjà, sous plusieurs variantes, le waterphone américain par exemple, mais c'est vrai que j'ai élaboré une sorte de clavier aquatique dans un récipient pouvant contenir jusqu'à trois pieds d'eau, selon la longueur de la pièce exécutée. Il faut comprendre que les parois du bassin sont alimentées par un système de plomberie et que c'est la pression des tubes à l'intérieur de la membrane qui détermine le registre du grave, du médium et de l'aigu.

 

Z. W. -  C'est-à-dire ce qu'on appelle l'étendue vocale chez un chanteur?

 

P. L. - Oui. Mon prototype s'apparente au registre du violoncelle, qui va du contre-do en clé de fa et qui peut atteindre des sons très aigus. Je me suis fabriqué un clavier à trois paliers, comme ceux de l'orgue. Le premier est en clé de fa, celui du milieu en clé de sol, et le troisième en haut, sert aux altérations, comme les dièses et les bémols.

 

Z. W. - Et c'est au Marais Deep que tu as donné tes premiers concerts?

 

P. L. - Mon instrument a l'inconvénient de tous les gros instruments, le piano, la harpe, il faut des déménageurs pour le promener d'une salle de concert à l'autre. Avec l'aide de Jean-Thomas, avec qui je partage ma vie depuis presque dix ans, nous avons donc loué un espace au Marais pour nous lancer dans notre passion commune.

 

Z. W. - Quand tu dis le mot passion, je reste frappé par les analogies religieuses que vous conférez, toi et Jeth, à ce rituel aquatique. Est-ce que j’ai raison de penser qu’il y a quelque chose de «sacrementiel» dans cette pratique de l’aquaphone?

 

P. L. - C’est vrai que j’ai découvert la foi avec les mormons, qui, tout comme dans les églises baptistes, font usage de l’eau pour rassembler les fidèles. C’est un peu le berceau de notre amour, Jeth et moi, car c’est vrai que même si on ne pratique plus, on est restés très engagés dans une démarche spirituelle. Mes deux voyages en Inde ont aussi fait beaucoup pour la mise au point des sons karmiques, qui se marient parfaitement aux vibrations des bols tibétains. Tu as raison de dire que pour moi la passion est prise au sens christique du terme. Oui je sais que ça fait un drôle d’amalgame mais au fond est-ce que toutes les traditions religieuses ne sont pas, en quelque part, issues d’un même parcours initiatique?

 

Z. W. - Baptême par l’eau, immersion, et on dit aussi : la Passion du Christ.

 

P. L. - Pour moi, le mot passion est aussi synonyme de souffrance. Ce qui ne veut pas dire que je suis masochiste. Au contraire, j’ai beaucoup d’empathie pour ceux qui recherchent leur bonheur spirituel - et physique, bien entendu - par le chemin escarpé, mouvementé, tortueux de la douleur. La musique bien exécutée a toujours l’air facile. Pourtant, rien n’est plus inconfortable que la pratique d’un instrument de musique. Un violoniste est un contortionniste. Moi je me définis comme un acrobate de l’eau. Elle est présente dans tous mes textes, mes peintures, et mes interprétations musicales. Ce sont des aquarelles pour l’oreille.

 

Z. W. - Crois-tu que la période dans laquelle on vit fait une négation de la souffrance?

 

P. L. - Ce à quoi j’assiste est une radicalisation des deux pôles. Il y a ceux qui souffrent, très nombreux, isolés dans leur souffrance, et ceux qui font du déni, des gens qu’on croise tous les jours avec leurs masques à l’épicerie, et qui font semblant d’aller bien. Mais je pense surtout à ceux qui en sont victimes sans en connaître les causes. Je connais de plus en plus de gens qui admettent pratiquer l’automutilation - une forme comme une autre de vouloir exercer le contrôle sur leur corps. Moi qui suis en guerre contre une tonne de compulsions, j’ai été épargné de celle-là, mais j’aurais très bien pu sombrer dans le désordre mental si je n’avais pas eu sur ma route des êtres extraordinaires qui m’ont montré leur lumière. Un de mes amis dit toujours: «La lumière n’a pas d’ombre, soyez un phare pour les âmes égarées.» Je m’identifie bien à cet égrégore, surtout en cette période où tous les dangers guettent toutes les démocraties. On vit des heures marquantes et encore trop peu de gens semblent le réaliser. C’est ce qui ressort de mes interprétations en ce moment. Je ne cherche pas les étiquettes, pour les uns, j’apparais comme un fanatique, pour les autres, un individualiste, disons que je ne suis ni l’un ni l’autre. J’écoute, j’entends, et ce qui s’imprime en moi s’exprime sans que j’exerce aucun contrôle, sinon que par la technique.

 

Propos recueillis par Zoltan Weider.