Timur, ne l'oublions pas, est un roi, et sa fille Liù est une princesse tartare exilée. Il est vrai que les librettistes et Puccini lui-même dans l'écriture de Turandot nous la font voir comme une esclave et surtout une victime sacrifiée, mais un magnifique renversement psychologique au troisième acte nous fait remarquer la supériorité de Liù sur Turandot car seule Liù connaît le nom de Calaf, secret pour la révélation duquel la princesse Turandot tient toute la ville en état de veille.
Il mio nome non sai. Une marche funèbre où de jeunes Chinoises s'extasient, souffrantes, devant la jeunesse et la beauté du Prince de Perse qui s'en va se faire couper la tête au début de l'opéra. À la toute dernière seconde, sous le bras levé du bourreau qui tient le glaive, un éclair jaillit dans sa tête: il vient de trouver la réponse à la troisième énigme: "Turandot!" Mais le glaive s'abat quand même. La fable est contradictoire: "Si tu ignores le nom que je porte, au sortir de la lune, tu mourras - ou: si tu découvres mon nom avant l'aube, je mourrai - ou: si tu réponds correctement à mes énigmes, tu mourras quand même." Contradiction parce que le livret prévoit un happy end si étrange que l'univers entier pleure en s'y ralliant. Ping, Pang, Pong. Et moi.
Trois. Plus un, quatre. Rajoutez-moi. Quelqu'un peut-il me dire s'il y a un rapport entre les 3 réponses aux 3 énigmes? Le sang, l'espérance, et Turandot? Parlant de 3, tous les troisièmes actes de Puccini se passent toujours à l'aube... Aussi j'aimerais savoir pourquoi, quand j'entends Turandot dans ma tête, je me surprends presque toujours, inconsciemment, à chanter Parsifal de Wagner?
Quatre. On est loin de La Bohème, en tout cas. L'amour qui fait pleurer l'auditoire en 20 secondes, le temps de voir des couples se chamailler et se réconcilier à la vitesse du son ne passe que par la tête dans Turandot. Sans jeu de mot. Si on se surprend à sourire à la toute fin, c'est parce qu'on sympatise avec les Chinois qui pourront enfin dormir en paix, sans risquer de se faire étêter par la femme-dieu. Une fin qui, assez étonnamment quand même, transforme une princesse sans cœur et sans âge en une jeune fille à papa toute contente de lui dire comment s'appelle son amoureux nous transporte d'émotion à condition que l'opéra soit monté dans des conditions budgétaires optimales. On est encore sous l'effroi. Sans compter que la fusion tant espérée entre l'instinct de mort et l'instinct d'amour se passe tout de suite après le suicide de Liù.
Je ne suis pas d'accord avec Ludvik quand il dit que l'univers en entier pleure en se ralliant à cette fin socio-réconfortante, mais où les protagonistes ne provoquent même pas de vrai réconfort politique. Bon ça y est déformation professionnelle. Et tant qu'à faire, j'ajouterais que le climat tumultueux de cette Chine décorative ne fait même pas allusion à des peuples en guerre. Il n'y a aucune guerre entre Turandot et ses prétendants. Elle les tue d'entrée de jeu, car ils n'ont qu'un mot à la tête: "Turandot"! Et quand vient le temps de le dire pour sauver leur peau, en réponse à la troisième énigme qu'elle leur propose, ils en perdent l'esprit, l'intelligence, la voix, tous leurs réflexes, avant d'en perdre littéralement la tête.
Mais le commandement de l'insomnie est bel et bien éternel, à cause du Nessun dorma qui reste l'un des plus grands airs de ténor de tout le répertoire. Pavarotti l'a rendu incontournable, mais avant lui, Franco Corelli en avait fait un must. Avec Birgit Nilsson: Wagner tenez. Pas étonnant que vous fassiez la substitution que vous qualifiez vous-même de "non-voulue" ou "inconsciente" entre les deux compositeurs. Inconsciemment ou non de la part de Puccini, Madame Butterfly, Tosca et Turandot procèdent intégralement des expositions chromatiques sur lesquelles Wagner a construit Tristan, puis Parsifal. Difficile de ne pas associer le commencement des troisièmes actes de Madame Butterfly et de Tristan. Même si des mondes culturels ont l'air de séparer ces deux opéras.
Tiens vous me le faites remarquer ! Et c'est toujours pour lui une occasion de transporter la musique qu'il entend dans sa tête vers une sorte de ténèbres d'où il fera surgir la lumière: l'éteigneur de réverbère dans Manon Lescaut, l'éveil des marins dans Butterfly, celui des cloches de Rome dans Tosca. Même dans La Fanciulla del West, le 3e acte commence à l'aube.
Et dire que la famille de Puccini est encore dans un procès interminable contre Andrew Lloyd Webber qui a plagié La Fanciulla del West dans son Fantôme de l'opéra... du vrai copié-collé!
Je reviens sur le fait qu'il s'écoule bien peu de temps entre la mort de Liù et la naissance de l'amour qui conclut l'opéra. D'ailleurs il faudrait appeler ce dernier segment le 4e acte, puisque Puccini meurt avant d'avoir pu le composer.
Il meurt en même temps que Liù. Il meurt sans amour. Il reste fidèle à toutes ces histoires d'amour qu'il a tuées. Avec un génie grandiose il faut bien le dire.
Sur cette question des expositions chromatiques de Wagner, est-ce qu'on ne peut pas parler aussi de tentation ? Massenet ouvre Werther avec ce même genre de modulations. Et il en fait le thème du malheur de son héros.
Remarquez que ça deviendra presque un tic. La musique de film de Morricone se base aussi sur des juxtapositions chromatiques qui ont été reprises par tous les autres. Mais je n'aime pas beaucoup qu'on parle de plagiat dans ce domaine. Wagner prend souvent appui sur Verdi, lequel n'a pas pu résister à des ascensions et des descentes chromatiques dans Macbeth (la scène du 1er acte où Lady Macbeth est introduite) - c'est une introduction à ces fameuses tentations dont vous parlez chez tous ceux qui vont suivre. Mais parions que Verdi, qui entendait tout dans sa tête, en avait peut-être déjà entendues chez Donizzetti... Je dis ça pour rire, mais je suis persuadée qu'on en trouverait. Il y a même du vibraphone dans Lucia di Lamermoor. N'est-ce pas que tout ce qu'on cherche se trouve?
Une chose nous frappe en tout cas: Parsifal (1882) précède suffisamment Tosca (1900) et Turandot (1926) pour que Puccini ait pu fréquenter Wagner. Mais un an avant la création de Turandot, Alban Berg nous donne Wozzeck !!! Adieu le chromatisme!
Dans un Opera News de mars 1971, Dorothy Kirsten avait lancé un appel aux jeunes compositeurs pour qu'ils se remettent à écrire comme Puccini. Celui-ci étant pour elle le plus "agréable" des compositeurs d'opéra. En 1971, c'est donc dire, on pouvait encore espérer une synchronicité du vieux et du nouveau. Nos compositeurs contemporains seraient bien mal pris avec ça.
On voit surtout d'un drôle d'œil Dorothy Kirsten, malgré sa si belle voix, chanter dans un opéra d'Alban Berg... N'empêche qu' Andrew Lloyd Weber a suivi son conseil: son Phantom date de 1986!
Photo © Ludovik Milot Canadian Opera Company
La seule guerre qu'on peut soupçonner dans cet opéra est celle menée par Turandot contre elle-même. Et la bonne nouvelle de la fin, comme vous dites, c'est que tout le monde peut enfin aller dormir.
Trois. Plus un, quatre. Rajoutez-moi. Quelqu'un peut-il me dire s'il y a un rapport entre les 3 réponses aux 3 énigmes? Le sang, l'espérance, et Turandot? Parlant de 3, tous les troisièmes actes de Puccini se passent toujours à l'aube... Aussi j'aimerais savoir pourquoi, quand j'entends Turandot dans ma tête, je me surprends presque toujours, inconsciemment, à chanter Parsifal de Wagner?
Timur, ne l'oublions pas, est un roi, et sa fille Liù est une princesse tartare exilée. Il est vrai que les librettistes et Puccini lui-même dans l'écriture de Turandot nous la font voir comme une esclave et surtout une victime sacrifiée, mais un magnifique renversement psychologique au troisième acte nous fait remarquer la supériorité de Liù sur Turandot car seule Liù connaît le nom de Calaf, secret pour la révélation duquel la princesse Turandot tient toute la ville en état de veille.
Il mio nome non sai. Une marche funèbre où de jeunes Chinoises s'extasient, souffrantes, devant la jeunesse et la beauté du Prince de Perse qui s'en va se faire couper la tête au début de l'opéra. À la toute dernière seconde, sous le bras levé du bourreau qui tient le glaive, un éclair jaillit dans sa tête: il vient de trouver la réponse à la troisième énigme: "Turandot!" Mais le glaive s'abat quand même. La fable est contradictoire: "Si tu ignores le nom que je porte, au sortir de la lune, tu mourras - ou: si tu découvres mon nom avant l'aube, je mourrai - ou: si tu réponds correctement à mes énigmes, tu mourras quand même." Contradiction parce que le livret prévoit un happy end si étrange que l'univers entier pleure en s'y ralliant. Ping, Pang, Pong. Et moi.
Quatre. On est loin de La Bohème, en tout cas. L'amour qui fait pleurer l'auditoire en 20 secondes, le temps de voir des couples se chamailler et se réconcilier à la vitesse du son ne passe que par la tête dans Turandot. Sans jeu de mot. Si on se surprend à sourire à la toute fin, c'est parce qu'on sympatise avec les Chinois qui pourront enfin dormir en paix, sans risquer de se faire étêter par la femme-dieu. Une fin qui, assez étonnamment quand même, transforme une princesse sans cœur et sans âge en une jeune fille à papa toute contente de lui dire comment s'appelle son amoureux nous transporte d'émotion à condition que l'opéra soit monté dans des conditions budgétaires optimales. On est encore sous l'effroi. Sans compter que la fusion tant espérée entre l'instinct de mort et l'instinct d'amour se passe tout de suite après le suicide de Liù.
Tiens vous me le faites remarquer ! Et c'est toujours pour lui une occasion de transporter la musique qu'il entend dans sa tête vers une sorte de ténèbres d'où il fera surgir la lumière: l'éteigneur de réverbère dans Manon Lescaut, l'éveil des marins dans Butterfly, celui des cloches de Rome dans Tosca. Même dans La Fanciulla del West, le 3e acte commence à l'aube.
Je ne suis pas d'accord avec Ludvik quand il dit que l'univers en entier pleure en se ralliant à cette fin socio-réconfortante, mais où les protagonistes ne provoquent même pas de vrai réconfort politique. Bon ça y est déformation professionnelle. Et tant qu'à faire, j'ajouterais que le climat tumultueux de cette Chine décorative ne fait même pas allusion à des peuples en guerre. Il n'y a aucune guerre entre Turandot et ses prétendants. Elle les tue d'entrée de jeu, car ils n'ont qu'un mot à la tête: "Turandot"! Et quand vient le temps de le dire pour sauver leur peau, en réponse à la troisième énigme qu'elle leur propose, ils en perdent l'esprit, l'intelligence, la voix, tous leurs réflexes, avant d'en perdre littéralement la tête.
La seule guerre qu'on peut soupçonner dans cet opéra est celle menée par Turandot contre elle-même. Et la bonne nouvelle de la fin, comme vous dites, c'est que tout le monde peut enfin aller dormir.
Mais le commandement de l'insomnie est bel et bien éternel, à cause du Nessun dorma qui reste l'un des plus grands airs de ténor de tout le répertoire. Pavarotti l'a rendu incontournable, mais avant lui, Franco Corelli en avait fait un must. Avec Birgit Nilsson: Wagner tenez. Pas étonnant que vous fassiez la substitution que vous qualifiez vous-même d' "inconsciente" entre les deux compositeurs. Inconsciemment ou non de la part de Puccini, Madame Butterfly, Tosca et Turandot procèdent intégralement des expositions chromatiques sur lesquelles Wagner a construit Tristan, puis Parsifal. Difficile de ne pas associer le commencement des troisièmes actes de Madame Butterfly et de Tristan. Même si des mondes culturels ont l'air de séparer ces deux opéras.
Et dire que la famille de Puccini est encore dans un procès interminable contre Andrew Lloyd Webber qui a plagié La Fanciulla del West dans son Fantôme de l'opéra... du vrai copié-collé!
Je reviens sur le fait qu'il s'écoule bien peu de temps entre la mort de Liù et la naissance de l'amour qui conclut l'opéra. D'ailleurs il faudrait appeler ce dernier segment le 4e acte, puisque Puccini meurt avant d'avoir pu le composer.
Il meurt en même temps que Liù. Il meurt sans amour. Il reste fidèle à toutes ces histoires d'amour qu'il a tuées. Avec un génie grandiose il faut bien le dire.
Sur cette question des expositions chromatiques de Wagner, est-ce qu'on ne peut pas parler aussi de tentation ? Massenet ouvre Werther avec ce même genre de modulations. Et il en fait le thème du malheur de son héros.
Remarquez que ça deviendra presque un tic. La musique de film de Morricone se base aussi sur des juxtapositions chromatiques qui ont été reprises par tous les autres. Mais je n'aime pas beaucoup qu'on parle de plagiat dans ce domaine. Wagner prend souvent appui sur Verdi, lequel n'a pas pu résister à des ascensions et des descentes chromatiques dans Macbeth (la scène du 1er acte où Lady Macbeth est introduite) - c'est une introduction à ces fameuses tentations dont vous parlez chez tous ceux qui vont suivre. Mais parions que Verdi, qui entendait tout dans sa tête, en avait peut-être déjà entendues chez Donizzetti... Je dis ça pour rire, mais je suis persuadée qu'on en trouverait. Il y a même du vibraphone dans Lucia di Lamermoor. N'est-ce pas que tout ce qu'on cherche se trouve?
Une chose nous frappe en tout cas: Parsifal (1882) précède suffisamment Tosca (1900) et Turandot (1926) pour que Puccini ait pu fréquenter Wagner. Mais un an avant la création de Turandot, Alban Berg nous donne Wozzeck !!! Adieu le chromatisme!
Dans un Opera News de mars 1971, Dorothy Kirsten avait lancé un appel aux jeunes compositeurs pour qu'ils se remettent à écrire comme Puccini. Celui-ci étant pour elle le plus "agréable" des compositeurs d'opéra. En 1971, c'est donc dire, on pouvait encore espérer une synchronicité du vieux et du nouveau. Nos compositeurs contemporains seraient bien mal pris avec ça.
Timur, ne l'oublions pas, est un roi, et sa fille Liù est une princesse tartare exilée. Il est vrai que les librettistes et Puccini lui-même dans l'écriture de Turandot nous la font voir comme une esclave et surtout une victime sacrifiée, mais un magnifique renversement psychologique au troisième acte nous fait remarquer la supériorité de Liù sur Turandot car seule Liù connaît le nom de Calaf, secret pour la révélation duquel la princesse Turandot tient toute la ville en état de veille.
Il mio nome non sai. Une marche funèbre où de jeunes Chinoises s'extasient, souffrantes, devant la jeunesse et la beauté du Prince de Perse qui s'en va se faire couper la tête au début de l'opéra. À la toute dernière seconde, sous le bras levé du bourreau qui tient le glaive, un éclair jaillit dans sa tête: il vient de trouver la réponse à la troisième énigme: "Turandot!" Mais le glaive s'abat quand même. La fable est contradictoire: "Si tu ignores le nom que je porte, au sortir de la lune, tu mourras - ou: si tu découvres mon nom avant l'aube, je mourrai - ou: si tu réponds correctement à mes énigmes, tu mourras quand même." Contradiction parce que le livret prévoit un happy end si étrange que l'univers entier pleure en s'y ralliant. Ping, Pang, Pong. Et moi.
Trois. Plus un, quatre. Rajoutez-moi. Quelqu'un peut-il me dire s'il y a un rapport entre les 3 réponses aux 3 énigmes? Le sang, l'espérance, et Turandot? Parlant de 3, tous les troisièmes actes de Puccini se passent toujours à l'aube... Aussi j'aimerais savoir pourquoi, quand j'entends Turandot dans ma tête, je me surprends presque toujours, inconsciemment, à chanter Parsifal de Wagner?
Quatre. On est loin de La Bohème, en tout cas. L'amour qui fait pleurer l'auditoire en 20 secondes, le temps de voir des couples se chamailler et se réconcilier à la vitesse du son ne passe que par la tête dans Turandot. Sans jeu de mot. Si on se surprend à sourire à la toute fin, c'est parce qu'on sympatise avec les Chinois qui pourront enfin dormir en paix, sans risquer de se faire étêter par la femme-dieu. Une fin qui, assez étonnamment quand même, transforme une princesse sans cœur et sans âge en une jeune fille à papa toute contente de lui dire comment s'appelle son amoureux nous transporte d'émotion à condition que l'opéra soit monté dans des conditions budgétaires optimales. On est encore sous l'effroi. Sans compter que la fusion tant espérée entre l'instinct de mort et l'instinct d'amour se passe tout de suite après le suicide de Liù.
Je ne suis pas d'accord avec Ludvik quand il dit que l'univers en entier pleure en se ralliant à cette fin socio-réconfortante, mais où les protagonistes ne provoquent même pas de vrai réconfort politique. Bon ça y est déformation professionnelle. Et tant qu'à faire, j'ajouterais que le climat tumultueux de cette Chine décorative ne fait même pas allusion à des peuples en guerre. Il n'y a aucune guerre entre Turandot et ses prétendants. Elle les tue d'entrée de jeu, car ils n'ont qu'un mot à la tête: "Turandot"! Et quand vient le temps de le dire pour sauver leur peau, en réponse à la troisième énigme qu'elle leur propose, ils en perdent l'esprit, l'intelligence, la voix, tous leurs réflexes, avant d'en perdre littéralement la tête.
Mais le commandement de l'insomnie est bel et bien éternel, à cause du Nessun dorma qui reste l'un des plus grands airs de ténor de tout le répertoire. Pavarotti l'a rendu incontournable, mais avant lui, Franco Corelli en avait fait un must. Avec Birgit Nilsson: Wagner tenez. Pas étonnant que vous fassiez la substitution que vous qualifiez vous-même d' "inconsciente" entre les deux compositeurs. Inconsciemment ou non de la part de Puccini, Madame Butterfly, Tosca et Turandot procèdent intégralement des expositions chromatiques sur lesquelles Wagner a construit Tristan, puis Parsifal. Difficile de ne pas associer le commencement des troisièmes actes de Madame Butterfly et de Tristan. Même si des mondes culturels ont l'air de séparer ces deux opéras.
Tiens vous me le faites remarquer ! Et c'est toujours pour lui une occasion de transporter la musique qu'il entend dans sa tête vers une sorte de ténèbres d'où il fera surgir la lumière: l'éteigneur de réverbère dans Manon Lescaut, l'éveil des marins dans Butterfly, celui des cloches de Rome dans Tosca. Même dans La Fanciulla del West, le 3e acte commence à l'aube.
Et dire que la famille de Puccini est encore dans un procès interminable contre Andrew Lloyd Webber qui a plagié La Fanciulla del West dans son Fantôme de l'opéra... du vrai copié-collé!
Je reviens sur le fait qu'il s'écoule bien peu de temps entre la mort de Liù et la naissance de l'amour qui conclut l'opéra. D'ailleurs il faudrait appeler ce dernier segment le 4e acte, puisque Puccini meurt avant d'avoir pu le composer.
Il meurt en même temps que Liù. Il meurt sans amour. Il reste fidèle à toutes ces histoires d'amour qu'il a tuées. Avec un génie grandiose il faut bien le dire.
Sur cette question des expositions chromatiques de Wagner, est-ce qu'on ne peut pas parler aussi de tentation ? Massenet ouvre Werther avec ce même genre de modulations. Et il en fait le thème du malheur de son héros.
Remarquez que ça deviendra presque un tic. La musique de film de Morricone se base aussi sur des juxtapositions chromatiques qui ont été reprises par tous les autres. Mais je n'aime pas beaucoup qu'on parle de plagiat dans ce domaine. Wagner prend souvent appui sur Verdi, lequel n'a pas pu résister à des ascensions et des descentes chromatiques dans Macbeth (la scène du 1er acte où Lady Macbeth est introduite) - c'est une introduction à ces fameuses tentations dont vous parlez chez tous ceux qui vont suivre. Mais parions que Verdi, qui entendait tout dans sa tête, en avait peut-être déjà entendues chez Donizzetti... Je dis ça pour rire, mais je suis persuadée qu'on en trouverait. Il y a même du vibraphone dans Lucia di Lamermoor. N'est-ce pas que tout ce qu'on cherche se trouve?
Une chose nous frappe en tout cas: Parsifal (1882) précède suffisamment Tosca (1900) et Turandot (1926) pour que Puccini ait pu fréquenter Wagner. Mais un an avant la création de Turandot, Alban Berg nous donne Wozzeck !!! Adieu le chromatisme!
Dans un Opera News de mars 1971, Dorothy Kirsten avait lancé un appel aux jeunes compositeurs pour qu'ils se remettent à écrire comme Puccini. Celui-ci étant pour elle le plus "agréable" des compositeurs d'opéra. En 1971, c'est donc dire, on pouvait encore espérer une synchronicité du vieux et du nouveau. Nos compositeurs contemporains seraient bien mal pris avec ça.
On voit surtout d'un drôle d'œil Dorothy Kirsten, malgré sa si belle voix, chanter dans un opéra d'Alban Berg... N'empêche qu' Andrew Lloyd Weber a suivi son conseil: son Phantom date de 1986!
Photo © Ludovik Milot Canadian Opera Company
La seule guerre qu'on peut soupçonner dans cet opéra est celle menée entre Turandot contre elle-même. Et la bonne nouvelle de la fin, comme vous dites, c'est que tout le monde peut enfin aller dormir.